Les années 2010 au cinéma auront vu naître une quantité de belles oeuvres même si cette décennie me paraît contrastée. Entre une politique industrielle et sans imagination des grandes studios que je déplore et la disparition progressive de la prise de risque, difficile d’être tout à fait satisfait de l’état actuel du Septième Art. Toutefois aller en salles fut un plaisir bien évidemment et quelques films ont su heureusement me transcender, me toucher ou me bouleverser. Voici mon top 20 de la décennie :
1) The Assassin (Hou Hsiao-Hsien, Taïwan, 2016)
Ma grosse claque de la décennie. Un film qui atteint des sommets de beauté et de grâce par le biais d’une mise en scène et d’une photographie qui relèvent du génie. The Assassin distille ses enjeux à la fois intimes et politiques dans un écrin d’une splendeur remarquable via une narration épurée qui laisse parler l’image, qui prend son temps. L’histoire se suit ainsi sur un rythme paisible qui se déroule avec une force tranquille, non sans tension, mais toujours avec sobriété et élégance. Mon chef d’œuvre de la décennie, un plaisir esthétique et sensoriel qui m’aura transcendé et fait vibrer comme rarement.

2) Le Garçon et le Monde (Alê Abreu, Brésil, 2013)
L’histoire d’un petit garçon qui vit dans son monde bercé de fantaisie avec sa maman et son papa, jusqu’à ce que ce dernier parte loin pour chercher du travail. L’innocence de l’enfant matérialisée par ce fond blanc sur lequel il n’avait qu’à tracer son histoire se retrouve heurtée à la dure réalité d’un monde déshumanisé et pollué. Abreu signe là une merveille d’animation aussi épurée que poétique, porteuse d’un message fort et chargée en émotions qui se véhiculent non pas par les dialogues (absents) mais par une alchimie entre l’image et le son exceptionnelle . D’une beauté simple et rare qui m’a profondément bouleversé.
3) Blade Runner 2049 (Denis Villeneuve, USA, 2017)
C’était mission impossible de faire une bonne suite de Blade Runner. Villeneuve en a donc réalisé une excellente. Dans la continuité du film de Ridley Scott, l’ambiance est noire et sinistre, lorgnant cette fois-ci davantage vers une ambiance post-apocalyptique. Il n’y a plus rien à tirer de cette Terre, de ce Los Angeles vidé de sa substance. Les corporatistes qui règnent sur l’économie se tournent vers la conquête d’autres univers et dans ce monde désespérant, le réplicant Joe cherche des réponses où le rêve est la seule échappatoire. Le film a une part mystique moins présente que dans le premier opus mais il gagne en émotions grâce notamment à ses thématiques sur la famille et sa romance forte. Une réussite esthétique et sensorielle qui ne délaisse pas les interrogations métaphysiques pour un résultat aussi beau que glaçant. Et profondément émouvant à l’arrivée me concernant.
4) La Vie d’Adèle (Abdellatif Kechiche, France, 2013)
C’est l’histoire d’une adolescente qui devient femme, de sa découverte de l’amour, du plaisir charnel, de la douleur sentimentale. C’est l’histoire d’une vie que l’on épouse durant trois heures, des joies et des peines d’Adèle pour laquelle l’empathie se développe au fur et à mesure que le spectateur glisse dans son intimité et ses secrets. La sensation de la sortie de salle en déambulant dans les rues de Lille où le film a été tourné est unique et reste gravée dans ma mémoire comme un souvenir marquant où j’émergeais doucement avec un sentiment doux-amer, à l’image de la vie d’Adèle. L’histoire est singulière, les thématiques universelles et l’ensemble est un chef d’œuvre pour quiconque saura se laisser bercer par le vertige d’une vie filmée à hauteur de femme.

5) Les 8 Salopards (Quentin Tarantino, USA, 2016)
Sûrement le film qui a marqué le basculement de Tarantino vers une certaine forme de maturité, vers un cinéma qui a digéré ses influences pour évoluer vers des thématiques plus profondes. La forme rassemble certains gimmicks habituels, de longs dialogues et une mise en scène référencée qui rappelle le cinéma d’horreur ou encore Peckinpah. Le fond est noir, les personnages revanchards des autres films de Tarantino laissent place à une ribambelle de personnages plus dégueulasses les uns que les autres. Aucun n’est à sauver dans cette Amérique post-Lincoln malade qui n’est pas si éloignée des maux de celle d’aujourd’hui. Un film au sous-texte garni, profond, qui n’en demeure pas moins intensément jubilatoire. A titre personnel, mon film préféré chez Quentin Tarantino et un gros plaisir de cinéma de genre qui n’a pas froid aux yeux.
6) Le Loup de Wall Street (Martin Scorsese, USA, 2013)
En illustrant la vie du trader Jordan Belfort, Scorsese a signé là l’un de ses films les plus féroces sur la société américaine et ses démons qui continuent de la hanter dans un système qui n’en finit plus de s’imposer. Rarement le spectateur sera autant passé par un sentiment ambivalent de répulsion et d’attirance. La vie de débauche de ces êtres sans foi ni loi qui brassent des millions est écœurante mais elle vient pourtant titiller nos bas instincts. Et si c’était moi ? Le film est mordant, drôle, cynique et très noir dans le fond. Un grand film mêlant la satire à la comédie dramatique pour un ensemble audacieux et définitivement irrésistible.
Vous pouvez retrouver ma critique de l’époque ici.
7) Killer Joe (William Friedkin, USA, 2011)
Quand l’un des plus grands artisans du Nouvel Hollywood réalise son chant du cygne (ou presque), ça cogne. Friedkin a sorti là un film noir et perturbant qui allie une forme d’humour cynique à des thématiques plus gênantes et déstabilisantes. La crasse de l’Amérique profonde inonde ce thriller malsain et pervers qui ne cesse de surprendre à l’image d’un personnage principal, incarné par Matthew McConaughey, imprévisible et inquiétant. L’ambiguïté qui règne autour de ces personnages est unique et contribue à rendre ce film furieusement jouissif. L’un des meilleurs films de William Friedkin.
Ma critique de l’époque par ici.

8) Les Éternels (Jia Zhangke, Chine, 2019)
Peinture de la vie d’un couple qui se perd dans une Chine en constante transformation. Jia Zhangke nous fait vivre cette double évolution dans un film poignant qui brille par sa subtilité et par l’utilisation du non-dit. C’est beau, lancinant et terriblement vrai dans l’exposition des rapports humains. Le film est rempli de ces petits riens, de ces petits événements qui caractérisent les protagonistes et donnent une ampleur folle au récit. Avec peut-être le rôle féminin le plus fort de la décennie, immortalisé par une séquence désormais iconique pour quiconque a vu le film : une unique scène d’action qui marque par sa virtuosité. Un modèle d’écriture et de mise en scène pour un ensemble beau et bouleversant.
9) Gone Girl (David Fincher, USA, 2014)
A mon sens la plus grande réussite de Fincher. Un film déstabilisant sur la déliquescence d’un couple qui ne se comprend plus et s’enferme dans un jeu aussi diabolique que destructeur. Le film porte alors des interrogations fortes sur le couple mais aussi la société et les médias en présentant une affaire qui s’emballe dans un mélange de perversité et de faux-semblants. Un film passionnant et stimulant à plus d’un titre.
10) L’Apollonide, souvenirs de la maison close (Bertrand Bonello, France, 2011)
Bertrand Bonello signait en début de décennie un superbe film, complexe, sur la place de la femme dans une maison close du début du 20ème siècle, non sans écho avec l’actualité contemporaine. Entre anachronismes bien placés et instants de vie capturés dans cette prison dorée, le cinéaste signe une œuvre forte et poignante qui marque par son universalité, son culot et son intemporalité. Et quelle atmosphère, quelle ambiance et quelle utilisation de la musique !
Ma critique rédigée à l’époque par ici.
11) Holy Motors (Leos Carax, France, 2012)
Ce film aura beaucoup fait causer et aura bien divisé à sa sortie. Comment pouvait-il en être autrement pour une œuvre aussi baroque et farfelue, bourrée d’idées de cinéma et qui nous fait passer par toutes les émotions ? Entre beauté pure, malaise, humour et cynisme, ce film à sketches nous embarque dans un univers perturbant à plus d’un titre. Une vraie montagne russe d’émotions et d’images qui ne peut laisser indifférent. Pour ma part, ce fut une expérience de cinéma fascinante et stimulante, un film fou et libre !
12) Une affaire de famille (Hirokazu Kore-eda, Japon, 2018)
C’est l’histoire d’une famille aussi atypique que pauvre qui survit grâce aux vols, magouilles et autres petits boulots peu gratifiants sans que le film ne tombe dans le pathos et le misérabilisme facile. Le récit mêle habilement la douceur à la noirceur et porte des interrogations fortes sur le sens même de la famille et de la société avec ces personnages moralement très ambigus. Le dispositif cinématographique est des plus épurés, on suit des tranches de vie, chaque personnage a la même consistance et on s’y attache fortement. L’écriture est tout simplement brillante, idem pour les acteurs tous très convaincants. Un grand film, complexe et touchant.

13) Leto (Kirill Serebrennikov, Russie, 2018)
Une œuvre libre et solaire qui nous transporte l’espace d’un instant à la fin d’une URSS qui voit l’éclosion d’une scène rock underground qui tente d’exister dans une société qui bride la créativité et la liberté. Une belle réussite virtuose, pleine d’idées visuelles et qui ne manque pas de toucher le cœur des spectateurs embarqués dans la vie de ces musiciens que l’on apprend à connaître au détour de chaque scène. Je suis ressorti bouleversé après avoir vécu un véritable périple où j’ai navigué entre toutes les émotions avec plusieurs pics très intenses. Le genre d’œuvre inventive que j’aimerai voir plus souvent au cinéma.
14) Drive (Nicolas Winding Refn, USA, 2011)
Refn a signé avec Drive un thriller qui a marqué son genre par son empreinte et par sa maîtrise de tous les instants. La mise en scène est virtuose et transcende un scénario beaucoup plus habile qu’il n’y paraît, contournant facilement tous les clichés du genre et proposant des séquences de haute volée, tantôt poétiques, tantôt sidérantes de violence. Et l’atmosphère visuelle combinée à un excellent choix d’ambiance sonore font de Drive une expérience sensorielle et planante formidable.
15) La Tortue rouge (Michaël Dudok de Wit, Belgique/Japon, 2016)
L’autre œuvre d’animation qui m’aura ému dans ces années 2010. L’histoire des inévitables évolutions de la vie dans un film d’animation sans parole qui séduit par la beauté de son dessin, l’épure de sa narration et l’universalité de ses thématiques. Avec ses séquences oniriques et sa formidable proposition artistique, La Tortue rouge est un film riche et chargé d’émotions.

16) Paterson (Jim Jarmusch, USA, 2016)
Du Jarmusch pur jus qui nous livre ici un film mélancolique et doux-amer sur le quotidien d’un chauffeur de bus perdu dans une petite ville moyenne des États-Unis. Entre moments poétiques, drôles et romantiques, Paterson se vit comme une succession de morceaux de vie et se déroule sur un rythme paisible qui capte l’anodin avec brio. Une expérience de cinéma à la fois apaisante et stimulante.
17) La Vénus à la fourrure (Roman Polanski, France, 2013)
Quelle expérience fascinante et déstabilisante que ce jeu du chat et de la souris en huis-clos teinté d’illusion et d’érotisme. Doté d’une écriture incisive, d’une mise en scène qui gère l’espace avec brio et d’un épatant duo d’acteurs, La Vénus à la fourrure est un film remarquable sur la domination et l’inversion des rapports de force. Un film osé, pervers et machiavélique qui s’avère particulièrement jubilatoire à l’arrivée.
Critique de l’époque par ici.
18) The Grand Budapest Hotel (Wes Anderson, USA, 2014)
On ne présente plus Wes Anderson et ses plans symétriques qui s’enchaînent tels de magnifiques tableaux. The Grand Budapest Hotel est une œuvre poétique et touchante qui marque par sa singularité et ses idées visuelles qui fourmillent de partout avec une formidable cohérence. Une belle galerie de personnages évolue dans ce paysage loufoque, tous plus hauts en couleur les uns que les autres. Et difficile de ne pas s’y attacher. Une ode à l’artisanat, inventive et pleine de fraîcheur.
19) Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma, France, 2019)
A la fois continuité et renouvellement dans le cinéma de Sciamma, ce Portrait de la jeune fille en feu est un superbe film tant au niveau de l’écrin qu’au niveau de l’émotion dégagée par la naissance de cette belle romance, qui prend son temps à naître et qui gagne en épaisseur de minute en minute. J’ai été séduit par l’alchimie de ce duo d’actrices, j’étais à fond dans leur histoire et je n’ai pas décroché un instant de ce film lancinant et hypnotique. Un œuvre forte et féministe qui ne sombre pas dans les écueils faciles pour nous livrer un superbe portrait de femmes.
20) Parasite (Bong Joon-ho, Corée du Sud, 2019)
Le représentant du cinéma sud-coréen qui aura battu tous les records et qui synthétise à merveille l’œuvre de son auteur. C’est un film politiquement fort et corrosif qui ne manque pas d’étriller chaque strate de la société coréenne avec cette richesse déconnectée et ces pauvres qui préfèrent s’entretuer plutôt que s’unir. Une belle réussite qui prend une nouvelle fois naissance dans le mélange des genres si particulier et si maîtrisé de Bong Joon-ho pour nous livrer un film complexe et profond.















